A l’occasion de l’opération « j’achète un livre péi », visant à promouvoir et valoriser la littérature réunionnaise, la médiathèque Alain Peters, au Moufia, a reçu l’écrivain Jean-François Samlong pour une rencontre autour de son œuvre. S’il est vrai que la littérature jeunesse est en pleine expansion à la Réunion, qu’en est-il du roman ? Nous sommes toujours à la recherche de la relève dans l’écriture poétique, romanesque, dit-il. C’est le but des ateliers d’écriture en résidence organisés depuis 2013, en partenariat avec le Ministère de la culture (DAC-oI) et la Région Réunion, dans la mesure où les écrivains débutants méritent d’être encouragés. Il faut les aider à élever leur niveau d’écriture, à se faire éditer dans des maisons d’édition locales mais surtout nationales. Aujourd’hui, beaucoup d’écrivains se contentent de l’autoédition. Ils doivent viser plus haut, beaucoup plus haut, bref, avoir une saine ambition.
JFSL partage son enthousiasme de l’écriture dans ses ateliers et c’est donnant donnant : il donne autant qu’il reçoit, et cette énergie lui permet de se lancer dans l’écriture de nouveaux manuscrits. Cette rencontre permet de maintenir le feu sacré pour dire ce qu’il a encore à dire.
JFSL écrit des romans depuis 1982 (Terre arrachée, Madame Desbassayns, Zoura, La nuit cyclone, L’arbre de violence, L’Empreinte française, Une guillotine dans un train de nuit, En eaux troubles, Hallali pour un chasseur…), et il est édité chez Stock, Grasset ; ses trois derniers romans ont paru dans la collection « continents noirs » des éditions Gallimard.
JFSL est toujours en mouvement, l’œuvre est loin d’être achevée et son dernier roman devrait paraître dès l’année prochaine. L’aventure de l’écriture continue…
JFSL : qui est-il ?
Pour Marie-Claude David-Fontaine, il est considéré aujourd’hui comme l’un des écrivains majeurs de la littérature réunionnaise (il s’agit de la littérature réunionnaise d’expression française ou d’expression créole) et comme l’un des militants culturels les plus ardents.
En tant que militant culturel, il est la cheville ouvrière de la création de l’Udir (Union pour la Défense de l’Identité Réunionnaise) qui édite, qui organise des animations littéraires, qui propose des ateliers d’écriture et une formation de conteurs. L’Udir défend la culture réunionnaise et tente de faire émerger de nouvelles plumes.
En tant qu’écrivain, on pourrait qualifier JFSL de coureur de fond de notre littérature. Il est poète, romancier, essayiste, et il a participé à des anthologies pour les collèges et les lycées. Son œuvre est abondante, diversifiée et reconnue, car certains de ses romans ont été primés.
Il est toujours présent, à regarder vivre notre société réunionnaise.
A son actif, douze romans publiés : des romans aux puissances d’évocation étonnantes selon Marie-Claude David-Fontaine : La nuit cyclone, L’arbre de violence ou le dernier en date : Hallali pour un chasseur.
Cette œuvre est importante sur ce qu’elle nous dit de notre île, de ses hommes et de la vie qu’on y mène. Elle nous éclaire sur notre société, sur notre histoire, de l’esclavage, de l’engagisme, et même sur notre histoire plus contemporaine, sur la Réunion d’aujourd’hui, son caractère pluriethnique, pluriculturel et les tensions sous-jacentes. C’est une œuvre qui véhicule beaucoup de violence, certes, mais aussi beaucoup d’espoir à travers la force qui émane des personnages créés par JFSL. Ce n’est pas un greffier de la société réunionnaise, c’est un écrivain.
Par le talent de sa plume, JFSL nous dévoile la société réunionnaise.
L’identité est au cœur des romans de JFSL. (Chant de Maël : « Nout lidantité ». Notre identité : Qui est-on vraiment ? L’identité est-elle plurielle ou singulière ? Qu’importe ! Qui sommes-nous vraiment, dans notre île et à l’extérieur ? Quand nous voyageons, qu’amène-t-on avec nous ? Quelles richesses intérieures ? Notre langue créole, notre histoire, notre culture, notre cuisine ? Encore faut-il pouvoir les partager avec quelqu’un. L’identité recoupe aussi la notion de reconnaissance. On s’identifie à l’autre à travers la langue, la littérature, la musique… On trouve des formes d’adhésion à l’autre car l’identité est toujours à construire. On est toujours en train de devenir quelqu’un d’autre.
Pour certains, le fait d’avoir une identité trop forte, trop structurée est synonyme de rejet de l’autre, d’un début de guerre contre l’autre. Cette idée n’est pas partagée par JFSL. L’identité est un partage, dit-il. Pour se confronter à l’autre, pour discuter d’égal à égal et favoriser ainsi la rencontre, il faut soi-même être fort à l’intérieur. L’identité participe à la construction de cette confiance en soi pour mieux comprendre l’autre et aller vers lui sans un sentiment d’infériorité ou de supériorité.
La poésie : comme un éblouissement…
JFSL n’écrit plus beaucoup de poèmes, mais la poésie reste omniprésente dans son œuvre, notamment dans le discours romanesque. Ce genre littéraire est intéressant car on peut y mettre de la poésie, du théâtre, en particulier dans les dialogues. Les personnages ne sont jamais figés, dit Marie-Claude David-Fontaine, ils sont en construction : c’est le cas de François dans L’Empreinte française, de Babel Mussard dans Hallali pour un chasseur ou de Madou dans En eaux troubles. Ce sont des êtres hybrides, jamais fixés dans une appartenance définitive.
La prose poétique existe dans La nuit cyclone, mais la poésie en elle-même se retrouve dans les œuvres de jeunesse de JFSL (« Réminiscence » poème extrait de Valval, 1980), déclamé par Annie Darencourt.
« J’entends pleurer un enfant seul qui mange des goyaves vertes et pleure des pleurs de la vie ». Ce poème permet d’aborder le sujet de la résilience. Vulgarisée par Boris Cyrulnik, cette notion de résilience prend tout son sens dans ce poème. Comment dépasser les pages douloureuses de son passé, du passé de l’île lié à l’esclavage, au marronnage, à l’engagisme ?
Il ne faut rien oublier mais surmonter ces douleurs connues, pour pouvoir passer à autre chose. Fini la « complaisance » dans le passé. Il faut continuer à écrire sur ces thèmes comme Boris Gamaleya, Carpanin Marimoutou, Patrick Cazanove ont pu le faire pour permettre aux générations futures d’avancer.
Il y a aussi l’importance de savoir ce qu’est la faim, l’importance « d’avoir faim et soif » pour continuer à se battre, à s’accrocher à la vie car la vie ne s’arrête jamais. Il faut garder l’appétit des fruits, l’appétit des mots. Transmutation de la faim des fruits en faim des mots. Et puis l’enfance, le rôle important de la grand-mère dans le roman L’empreinte française (extrait lu par Annie Darencourt).
JFSL : Hommage à sa grand-mère Man Lalie qui l’a élevé. Peu de paroles entre eux, mais des signes à capter : un regard, une attitude, une façon d’être dans sa robe, ses cheveux. Les gens simples, même s’ils n’ont pas fait d’études et n’ont pas de diplômes, ont des richesses à nous faire découvrir. « Elle avait toujours une leçon à enseigner, un regard sur la vie. Elle lavait son linge à l’eau de la rivière comme elle lavait quelque chose à l’intérieur d’elle. On marchait l’un à côté de l’autre, mais chacun dans ses rêves. Je marchais à l’ombre de ma grand-mère », dit-il. Sans compter la présence du gardien malgache sur la propriété de La Giroday, quand il accompagnait sa grand-mère pour laver le linge, une présence symbolique, qui marque la limite à ne pas franchir. Le regard de l’autre posé sur soi, qui vous dit ce qu’on peut faire ou pas.
Ce gardien malgache a joué son rôle dans la construction psychologique de l’adolescent qu’il a été, de même pour Monsieur de la Giroday, propriétaire terrien qui pouvait surgir d’un moment à l'autre sur son cheval. Toutes ces peurs, nées d’une possible rencontre entre des gens pauvres et le gardien ou le « gros blanc », ont permis à l’adolescent de découvrir deux mondes différents qui se côtoient sans se connaître. De même à l’église de Sainte-Marie où autrefois des places étaient attribuées aux uns et aux autres. Les premières rangées étaient réservées « aux gros blancs », et à l’arrière, le peuple. Mais JFSL garde une image positive de ces « gros blancs », car ils ont toujours conservé à son égard et à l’égard des gens pauvres qui vivaient dans le hameau une attitude amicale.
L’empreinte française : roman généreux selon Marie-Claude David-Fontaine. Il retrace le parcours d’un enfant humble, qui a su gravir les étapes et se faire une place dans la société à partir de l’école républicaine, exclusivement. Une belle leçon sur notre société réunionnaise faite de tensions, mais aussi de capacités de rencontres possibles entre individus différents, que l’histoire a précipités dans notre monde. Une œuvre personnelle car autobiographique, mais qui parle aussi de problèmes universels : éveil à l’amour, rapport à l’autre, rapport à la différence, une grande œuvre écrite de manière poétique. JFSL est un homme engagé, ancré dans notre monde et il regarde le monde d’une manière plus large.
Chant de Maël : « Péi la kapoté ».
« Christ Mississipi » : Extrait du recueil collectif Les îles rebelles.
Poème déclamé par Annie Darencourt et écrit par JFSL après le passage dévastateur de l’ouragan Katrina aux Etats-Unis :
« Christ Mississipi crimes
Contre les noirs de la Louisiane
Contre l’Alabama la Géorgie
Contre tous les noirs de la terre
De la Nouvelle-Orléans à Soweto
Contre blancs métis noirs de peau. »
La femme
Extrait de Zoura, femme bon Dieu (Editions Caribéennes, 1988), lu par Annie Darencourt.
Dans une communauté de noirs marrons réfugiés dans un coin perdu de l’île, Zoura fait elle aussi le rêve de liberté. Comment être soi, dans une île où le cœur de l’homme est rempli de passions, de violences, de surnaturel ? Maël chante : « Ti Flèr Bondié » (texte écrit par JFSL). On ne peut comprendre la société réunionnaise telle qu’elle est ou telle qu’elle sera demain si on ne met pas la femme au cœur même de la construction de l’identité réunionnaise. Nous gommons le rôle joué par la femme, cette femme-lumière porteuse d’une force spirituelle, qui empêche la société de s’embourber dans les crises profondes qui la traversent et de céder à la violence.
Pour conclure, JFSL nous parle du changement qui s’opère en l’écrivain lorsqu’il écrit. Tout est en construction, il faut lire, relire, redonner à l’idée une nouvelle direction, revoir la mise en place des personnages, remettre en cause son écriture car rien n’est acquis. A travers ses personnages, on se retrouve soi, on retrouve la violence présente en chacun d’entre nous et cela permet de l’exorciser. Quand on écrit un roman ou même une nouvelle, si à la fin on est le même homme ou la même femme qu’au début de l’écriture, inutile d’écrire, mieux vaut s’adonner à une autre activité. Le texte agit sur l’auteur et vice-versa. Cette double action est bénéfique, elle modifie notre pensée, notre rapport au monde, à soi, aux autres. L’écriture nous apporte autant qu’on apporte à l’écriture. A la fin du roman, le lecteur doit sentir tous les cheminements intérieurs, tous les questionnements qui ont guidé l’écrivain. Il y a dans l’écriture une transformation obligatoire de soi.
Propos recueillis par Laetitia Sam-Long Ah-Kiem
Crédit photos : Sandra Emma