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Judith Profil: Conteuse, poétesse, chanteuse, comédienne

Judith Profil, dit Kaloune, a été l’invitée du dernier « démay lo kèr » qui a eu lieu à la bibliothèque de la Montagne en présence de la directrice, Simone Hillebrand, et d’Aïdée Macroix, de la médiathèque de Saint-Denis, en partenariat avec la Ville de Saint-Denis et la DAC-oI. Gilles Clain, s’accompagnant à la guitare, a assuré l’animation musicale avec des chansons créoles qui ont plu au public.


Judith Profil, la trentaine pleine d’énergie et d’optimisme, a dévoilé plusieurs facettes de sa jeune personnalité en répondant aux questions de Jean-François Samlong. Des questions en cascade, délicates, si bien que Judith Profil a cru être un moment en présence d’un psy. Mais pas du tout. La lecture de ses recueils de poèmes (Séga Bondyé galé, 2010 ; Kayé la sirèn ou le rêve de Fanja, 2015) donne à découvrir une partie d’elle-même en filigrane. Après de brillantes études à La Réunion (un master en droit), elle poursuit ses études en Angleterre. On la retrouve ensuite comme « volontaire du progrès » en Afrique du Sud, en Zambie, en Tanzanie, au Zimbabwe, au Mozambique (du Mozambique viennent la plupart des esclaves qui ont permis le développement économique de l’île) ; puis elle est professeure de français à Mayotte où les femmes sont très belles, écrit-elle.


Si la figure paternelle est absente de ses écrits, parce que sa mère, directrice d’école, a dû jouer auprès d’elle et de ses autres enfants le rôle de la mère et du père, en revanche les figures féminines abondent sous sa plume. Son deuxième recueil de poèmes écrit en créole et en français, Kayé la sirèn, est dédié à sa mère : « Po banna, po Momon, mon san, mon nasyon ». Elle-même se compare à un papillon noir. Elle rend hommage à des femmes qui ont marqué l’histoire de La Réunion : Eva, Raharianne, Simangavoul, Fanja, Kala, Kalathoumi. Elle crée tout un imaginaire autour de la femme oiseau qui ne meurt pas : in fanm Pétrèl, in fanm papang, in fanm Salangane. La salangane, c’est la fée noire.


Et la Fée noire ou la Fée nwar, c’est le titre de son spectacle imaginé à partir de son recueil de poèmes, Séga Bondyé galé. Elle met en scène Kalathoumi qui chante ses sentiments en s’accompagnant d’un instrument magique, le mbira, mot qui signifie « cérémonie ». Car très tôt, Judith Profil s’est mise à chanter dans les « servis kabaré » malgaches afin d’honorer la mémoire de ses ancêtres. Devoir de mémoire. Héritage culturel. Et dans Kayé la sirèn, sur un rythme du maloya, elle a publié beaucoup de textes sacrés, secrets, pour que la tradition ne meure pas, pour que la parole ne se perde pas.

La quête d’identité en Afrique n’a abouti à rien. Déception. Mais elle n’a pas fait le voyage pour rien puisqu’elle a pris conscience que ses racines sont dans son île natale, sont en elle, de même que son identité qui s’enracine dans son histoire, sa culture, sa passion du chant, de l’écriture, de la scène.


D’ailleurs, elle tient depuis longtemps un journal intime et travaille sur un roman qu’elle réécrit sans cesse, car dans tout ce qu’elle fait Judith Profil est une perfectionniste, elle n’arrête pas d’apprendre, de se remettre en cause, et finalement son rêve est un rêve d’amour ; sa quête est une quête d’amour, et quelque part Kayé la sirèn est un hommage à la vie, à l’amour, à la femme qui donne la vie et l’amour. « La vi lé kalou bandé » sanm Kaloune qui a chanté pour le public présent dans la salle, le mbira entre ses mains. Un chant sacré, profond, qui porte au loin comme une prière pour que la femme réunionnaise continue à faire entendre sa voix, à assumer ses responsabilités, à se battre courageusement.


Judith Profil est elle-même une battante. Elle respire la force, la joie de vivre, et elle est fière de ce qu’elle fait, de ce qu’elle est, de la femme qu’elle est devenue – et de la femme en devenir en elle, partageant la souffrance des autres tout en étant consciente de sa fragilité (celle du papillon noir), une fragilité qu’elle assume en tant que conteuse, chanteuse, poétesse, comédienne. Elle a plusieurs atouts entre ses mains : une voix, une écriture, une présence, une jeunesse rayonnante – et un bel avenir.


Jean-François SAMLONG

 

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